Auto-bondage Chap. 2
Extrait du journal de Jennifer
Je connaissais Lorène depuis plus d'un an, mais nous ne sommes vraiment devenues des amies proches qu'après mon divorce. J'étais à la fois soulagée d'en avoir fini, et incertaine quant au choix de ce que pourrait être désormais ma vie. Mon travail à l'imprimerie était intéressant et bien payé - au point que j'avais craint un moment d'être obligée de verser une pension alimentaire à mon ex !
Lorène travaillait donc comme maquettiste mais sa fonction la plus utile dans l'entreprise consistait à résoudre les problèmes informatiques. C'est un bidouilleuse hors pair, tout le monde le savait et ne se gênait pas pour faire appel à ses talents annexes au moindre problème.
Nous déjeunions parfois ensemble, mais vers cette époque, cela devint une habitude. Je dois dire que durant mon divorce j'avais tendance à éviter autant mes collègues masculins dont la compassion cachait des intentions mal définies, que la plupart des autres filles de la boîte, coquettes, écervelées et bien trop désireuses de faire des gorges chaudes de mes problèmes conjugaux.
Un peu garçonne avec des cheveux courts et ses tenues sport, Lorène était discrète et accordait une attention réservée à mes épanchements occasionnels. Sa curiosité pour toutes sortes de choses et son intelligence faisait d'elle une compagnie extrêmement agréable. J'avais trente et un ans, sept années de plus qu'elle : assez pour maintenir une distance entre nous sans empêcher une réelle connivence.
Un soir, je l'invitai à dîner dans un grand restaurant et, après un repas aussi succulent qu'arrosé, je lui déclarai à quel point j'avais apprécié le soutien moral qu'elle m'avait porté.
- N'en parlons pas … Tu aurais fait pareil pour moi.
Même si une telle déclaration paraissait formelle, j'étais sincère mais je fus surprise par la rapidité de sa réponse.
Le repas, l'alcool lui avaient rosi les joues et sa respiration devint un peu haletante.
Je dus avoir l'air perplexe, car elle me regarda avec amusement.
Alors elle se jeta à l'eau. Après m'avoir fait jurer de n'en parler à personne, elle me raconta son étonnante vie secrète. Comment elle s'attachait elle même et s'imposait des épreuves bizarres qui lui procuraient beaucoup de plaisir.
Pour moi, jusqu'à cet instant, j'avais toujours associé les liens et les parures de cuir ou de latex à des déguisements de carnaval que sel quelques malades pouvaient considérer comme des accessoires fonctionnels. Et jusqu'à ce soir là, j'aurai cité Lorène parmi les deux ou trois personnes les plus équilibrées que je connaissais.
Ses confidences me remplirent d'abord de confusion, entre l'ironie et l'horreur. Au fur et à mesure qu'elle m'expliquait ses pratiques, ce fut sa détermination qui m'impressionna le plus.
Elle n'en parlait pas comme d'une passion dont elle aurait été victime, mais plutôt comme d'un sport dans lequel elle avait à cœur d'exceller.
Je lui réitérai mes promesses de discrétion. Je comprenais qu'elle se sente rassurée de me faire partager son secret mais, malgré la réelle fascination que j'éprouvais , j'étais réticente à lui rendre le service qu'elle attendait de moi : je ne voulais absolument pas la faire souffrir.
Je n'avais pas beaucoup bu mais, à la fin du repas, j'étais emportée par une douce euphorie. Le ton pris brusquement par la conversation me donna l'impression de dessaouler.
Un silence pesant s'installa entre nous. Lorène baissa les yeux d'un air triste et je crus que cet instant marquerait le terme de notre amitié.
Je lui souris en lui saisissant la main.
Je proposai d'abord que nous quittions le restaurant. Je ne m'y sentais pas à l'aise pour discuter de choses si intimes, et je me dis que quelques pas dans la rue nous feraient le plus grand bien à l'un comme à l'autre.
Tandis que nous marchions dans les rues, je commençai par lui redire que je me sentais confuse de mon mouvement d'humeur. Avec un soupir de soulagement, Lorène me rassura en m'expliquant que son intérêt pour le ligotage n'avait rien à voir avec la flagellation ni aucune forme de torture.
Elle me raconta alors comment une amie de lycée lui avait proposé un jour de poser pour des photos de "bondage" moyennant un rémunération substantielle;
Lorène marqua un temps d'arrêt comme nous croisions un groupe de promeneurs, mais je crois qu'elle désirait surtout savoir si ses nouvelles révélations ne me choquaient pas.
En vérité, sur ce point précis, je n'avais absolument aucune opinion. Jusqu'à ce soir ma vie sexuelle avait été banale. Avant mon mariage, outre quelques étreintes d'un soir, j'avais eu des relations avec trois partenaires différents, dont la plus longue avait duré moins d'un trimestre. Puis il y avait eu Norbert, mon ex, quelques mois de passion puis notre emménagement et les contraintes professionnelles : au bout de cinq ans, à quelques semaines d'intervalle, à l'insu l'un de l'autre, nous avons commencé à avoir des liaisons extraconjugales. Quand j'y repense, maintenant, je suis frappée par la ressemblance entre mes amants et Norbert ; par l'âge ou par le physique, de genres différents, mais tous conformistes, peu imaginatifs et tout aussi indifférents pour leur partenaire , comme je l'étais moi même sans doute ….
Que Lorène ait posé pour des photos pornos me surprenait, mais je la connaissais suffisamment pour apprécier ses qualités, et je ne me sentais pas le droit de juger ce qui n'avait été, à l'évidence, qu'une anecdote de son passé.
A ce point de notre discussion, j'ai soudain compris ce qu'avait voulu dire Lorène au restaurant, en parlant de sport, et toute réticence m'a quittée.
Elle bondit de joie.
Lorène parut surprise par ma réaction. Après les réticences que j'avais d'abord manifestées, elle ne s'attendait pas à ce revirement.
Elle n'avait pas imaginé que je puisse vouloir prendre une part active à ses jeux solitaires, en tout cas pas à ce stade de nos relations. Plus tard, elle prétendit que, ce soir là, elle n'avait pas voulu me choquer davantage en me demandant de l'attacher, mais je crois plutôt qu'il y avait beaucoup de pudeur dans cette réserve.
Le rire de Lorène résonna un peu fort dans la rue déserte.
Elle chercha mon regard et sa voix devint balbutiante.
Je haussai les épaules en riant.
Le lendemain à l'imprimerie, il y avait beaucoup de travail, mais Lorène me prit à part et, après s'être assurée que j'étais dans la même disposition d'esprit que la veille, elle me tendit une grande enveloppe.
Je me sentis flattée de sa confiance et, dès que j'arrivai chez moi, je lus avec avidité.
Certaines pages étaient couvertes de tableaux ou de formules chiffrées qui n'avaient aucune signification pour moi. D'autres ressemblaient aux pages éparses d'un journal intime. Mais au moins la moitié du cahier contenait des listes plus surprenantes les unes que les autres : vêtements, chaussures, définitions de maquillages, accessoires divers, descriptions succinctes des mouvements successifs à accomplir pour s'attacher ou se détacher…
Ce cahier témoignait de ce dont je m'étais déjà douté la veille en écoutant Lorène : Elle pratiquait ces jeux avec le même sérieux que tant de filles manifestent en faisant de la gymnastique. La seule véritable différence était qu'au lieu de courir ou de s'agiter jusqu'à l'épuisement, elle s'efforçait d'atteindre une immobilité absolue…Et cet exercice demandait une rigueur plus grande et une formidable détermination.